On s’est donné rdv à 9h30
Dans la salle à l’étage du bar des mouettes.
Une salle habituellement réservée aux gouters d’enterrement.
Une salle avec une vue imprenable sur le marché du jeudi,
L’église, le Rally bar et la boulangerie Henry.
L’idée c’était de refaire une action que nous avions faite pour les manifs des retraites à Brest cet hiver.
Aujourd’hui nous sommes 12.
La majorité des gens ne se connaissent pas.
Le NOUS est composé une majorité d’amateur.ice.s de théâtre, et quatre pros.
Chacun.e avait appris la choré via un tuto en ligne réalisé cet hiver par Léonor Canales. Les mouvements s’inspirent du travail de Pina Bausch : « Season-March ».
« Coline, ca te dit de mener le cortège. T’es danseuse, ca nous aidera »
« Ok »
Le patron du bar rentre dans la salle :
« Vous prenez des boissons ? ».
« Heu… Nous les prendrons après ».
« Après quoi ? »
Silence
« Au fait c’est quoi le but de tout ça ? »
« C’est à dire ? »
« Le message, derrière l’action »
« C’est ce qui était écrit sur l’email : poétiser, réenchanter l’espace public. Dois-je comprendre que ce n’est pas assez pour toi ? »
« Non. Il m’en faut plus. »
« Et bien c’est une action pour dénoncer les interdictions absurdes qui limite notre liberté d’action, notre droit de nous rassembler, de nous réunir à plus de 10 personnes dans l’espace public. Une action pour nous faire du bien, faire se rencontrer les compagnies d’ici et celles et ceux qui les composent, fédérer les énergies. ».
« Ok. Là c’est plus clair »
« Oui, j’ai pas précisé tout ça dans l’email. Par écrit, c’est un peu froid. Je préférais attendre que l’on se voit pour en parler ».
« Vous préférez quelle robe ? »
« Celle dans laquelle tu te sens le mieux Régine ! »
« Avant de sortir, j’aimerais que nous nous mettions d’accord sur qui nous sommes aujourd’hui. Nous avons un peu échangé par email là-dessus avec Fred et Céline mais nous aimerions discuter de notre nom et l’acter ensemble. Est-ce que vous êtes OK si nous nous nommons les Animacteurs. C’est bien ça ? »
« Non je crois que j’avais écrit les Anonymacteurs de l’espace public »
« Moi je préfère les animacteurs »
« Moi aussi »
« Ok nous sommes les animacteurs. C’est au cas où l’on nous demande qui nous sommes, histoire que nous nous ayons la même réponse. »
« Allez on y va »
« On se place comment ? On alterne femme, homme ? Comme sur la vidéo ? »
« Ca marche pas on est 4 gars »
« Je tiens à dire que pour une proposition de danse, 4 hommes c’est beaucoup »
« Allez on descend ! »
« Coline, ne sois pas surprise, je lancerai la musique une fois tout.e.s dehors »
Il est 10h40. Nous sortons avec 20 minutes d’avance.
Il fait grand soleil.
Il y a un peu plus de monde que d’habitude au marché.
Nous sommes en ligne devant la terrasse du Rally Bar.
Je lance la musique : Quizas Quizas Quizas dans une version de Nat King Cole.
Nous contournons l’église.
Nous tombons sur Jean-Pierre, correspondant au Télégramme. Il nous fait des clins d’œil. Il se dirige vers moi, discrètement.
« Comment est-ce que je vous présente ? »
« T’as qu’à dire les animacteurs de l’espace public »
« OK »
Sur le marché les réactions sont diverses, souvent surpris, l’espace est contrait. On entend des murmures.
« C’est quoi le message ? »
« J’en sais rien demande leur »
Le bouton ON/OFF de l’enceinte bose s’éteint.
« Désolé »
Nous retraversons la place et nous dirigeons vers le tunnel entre la Grand rue et Intermarché. Pause collective.
« C’était chouette ! »
« J’adore »
« T’as vu comment la boulangère nous a regardé ? »
« On tente Intermarché ? »
« Le parking ? »
« Non, l’intérieur magasin »
« Attention c’est un espace privé »
« Il a raison on peut avoir des soucis »
« Et alors, c’est quoi le problème de l’espace privé ? Il va peut-être aimer et dire oui ? »
« Je propose le couloir derrière les caisses »
« Ok »
« ok »
« OK »
Intermarché ok, la poste ok, le hall de Mairie, devant la grille de l’école St Joseph.
Avant de nous diriger vers l’EPHAD des Abers.
Devant l’entrée il y a un technicien qui passe le karcher.
Il se marre.
Nous contournons l’entrée par la gauche.
Longeons les grilles héras, espérant que les résident.e.s se mettent aux fenêtres.
Passons sous un porche,
Découvrons le jardin, personne,
Rejoignons une cour intérieure.
Faisons une boucle.
Au moment de quitter les lieux pour rejoindre l’école du petit prince, une porte s’ouvre dans l’angle du jardin, c’est le personnel de l’Ephad en plein branle-bas de combat pour installer des chaises pour asseoir les résident.e.s.
Une infirmière se met à danser avec une résidente,
Deux autres résidentes reprennent les mouvements.
Nous sommes foudroyé par l’émotion.
Suspendue aux gestes lents et hésitant des résident.e.s
Suspendu à leur regard, leur corps vacillant, remplis d’enthousiasmes fragiles.
Coline et Nolwenn leur réservent un solo en guise de dessert, sur la musique d’« In the mood for love ».
Fin de la musique, demie tour.
Nous leur offrons un revoir de la main.
Derrière la haie se trouve l’entrée de l’école du Petit Prince
Dans la cour une dizaine d’enfants jouent à cache-cache.
Nous contournons les salles de classes par la gauche, côté parking du carrefour contact.
Des rideaux se lèvent dans les classes.
Une institutrice ouvre une porte, des enfants s’échappent doucement
Puis une seconde classe
Une troisième
Une soixantaine d’enfants sont sur la pelouse, timides, ils hésitent à reprendre les mouvements.
Au milieu du groupe un garçon a ses hanches qui se libèrent, il a capté les mouvements. Suivi par un groupe de 7 puis 3 filles derrière et l’instit aux cheveux court à fond depuis la première note.
Nous disparaissons derrière le carrefour contact.
« Bon on arrête là, je dois y aller, j’ai un rendez-vous. »
« Attendez, avant de partir j’aimerais faire la crèche et je ne dis pas cela parce que mon fils y est. »
« Et ma fille. »
« Ok. C’est loin ? »
« Juste derrière le pâté de maison. »
Nous arrivons devant les grandes vitres bleues et jaunes de la crèche.
Les assistants remontent les stores et regroupent les enfants.
Ils sont 6. Les regards surpris.
Guillaume, le regard chaud, porte un enfant dans les bras.
Une cumbia viendra clôturer cette heure et demie de déambulation dans les rues de Plouguerneau.