Le dernier des Johnnies
L’histoire
Pendant 170 ans, des hommes à l’accent inhabituel et vendant des bottes d’oignons, ont frappé aux portes des maisons d’Angleterre, d’Ecosse et du Pays de Galles. Ces « Johnnies » effectuaient chaque année cette migration pour 6 mois de dur labeur dans les conditions de vie les plus difficiles. Ces hommes furent surnommés Johnnies par les anglais, « Petit Jean » en Français, en raison de leur jeune âge, et du fait que la plupart s’appelaient Jean ou Jean-Yves, « John » en anglais. Ils furent jusqu’à 1 500 en 1928 à s’expatrier, certains avec leurs enfants parfois âgés de moins de 10 ans, avant que leur nombre ne de se réduise peu à peu après la seconde guerre mondiale, pour n’être plus qu’une dizaine dans les années 1990.
Note d’intention
Lorsque Ronan Le Fur, à qui me lie une complicité de 5 ans, est venu me solliciter pour l’aider à écrire son projet, « Le dernier des Johnnies », j’ai tout de suite été fascinée et émue par cette page d’histoire totalement méconnue en dehors de sa région d’origine et de tous les Anglais, Ecossais et Gallois ayant croisé la figure pittoresque mais familière du Johnnie entre 1835 et 1990.
Quand Ronan m’a appris qu’il était le descendant direct des derniers Johnnies, j’ai été d’autant plus attachée à respecter sa préoccupation de sauvegarder un héritage familial voué à disparaître, puisque depuis le décès de son grand-père en 1999, seul son oncle et quelques anciens Johnnies très âgés sont encore capables de témoigner de cette page d’histoire sociale que le temps a peu à peu effacée mais qui se situe de façon passionnante à la croisée du politique, de l’historique et de l’intime.
Ce qui m’a intéressé, c’est d’inventer avec lui un dispositif spectaculaire spécifique à la rue et pertinent par rapport à la nature de son projet, qui relève principalement de l’évocation et de l’interrogation, et du désir de les partager avec un public.
Il s’agit, dans une démarche « d’archéologie sentimentale », d’interroger une expérience qui n’a pas été directement la sienne, mais qui a baigné son quotidien familial depuis toujours, pour en appréhender la vérité dans toute sa complexité et ses contradictions.
Ainsi nous est apparue la nécessité d’une forme théâtrale hybride où dialogueraient selon des techniques de montage, adresse directe, actions poétiques, interrogations intimes, enregistrements sonores, extraits musicaux, images d’archives retravaillées, en un dialogue fait de correspondances sensibles.
Le fil rouge serait constitué d’une conversation entre le comédien en direct et la voix enregistrée de son oncle, exposant au spectateur ces temporalités différées, que seul le théâtre est capable de réunir.
Pour le comédien, il s’agira de trouver une posture scénique « poreuse », en glissement permanent entre jeu et confidence, acteur et conteur, grande et petite Histoire, intimité et extrapolation, données historiques factuelles et digressions subjectives.
Cette « parole éclatée » constituerait la forme et l’horizon de notre futur spectacle, ainsi que le stimulant chantier des étapes à venir.
Très loin d’une démarche passéiste ou « folklorique bretonnisante », nous pensons que raconter une histoire universelle qui parle du courage d’hommes traversant la mer pour se jeter dans l’inconnu à la rencontre de l’Autre, et nouer des rencontres amicales transcendant les frontières et les difficultés, peut susciter une réflexion salutaire, à rebours des paroles et des actes de méfiance et de xénophobie qui prévalent trop souvent aujourd’hui.
Elle nous permet aussi de nous rafraichir la mémoire sur une époque où les émigrés économiques étaient des Français…
En fait, ce spectacle se voudrait construit à l’image de l’oignon, de peaux successives se détachant les unes des autres jusqu’au cœur sensible et succulent…
Muriel Bénazéraf, metteure en scène
Générique
Mise en scène et écriture : Muriel Bénazéraf
Interprétation et écriture : Ronan Le Fur
Création sonore : Aline Loustalot
Création visuelle : Bertrand Groisard
Les lieux où nous avons créé.
Quartier de Kerfissiec – Saint Pol de Léon / La maison des Johnnies – Roscoff / Toulouse.