Le dernier des Johnnies / Résidence 1
Le Dernier des Johnnies, juillet 2017
C’est avec enthousiasme que la compagnie s’est lancée dans sa prochaine création : « Le dernier des Johnnies ». Ce spectacle racontera l’épopée des Johnnies, ces bretons entreprenants qui, fuyant la misère de leur terre surpeuplée, allaient vendre au porte-à-porte leurs oignons rosés au Royaume Uni, 6 mois par an, loin de leur famille, durant près d’un siècle et demi.
Pour démarrer ce travail, il nous a semblé indispensable de nous immerger au cœur du Léon, dans le quartier de Kerfissiec là où se trouve la maison de mes grands-parents sur la commune de Saint Pol de Léon. Mon grand-père fût Johnnies durant plus de 70 ans. Lors de sa première tournée il n’avait que 10 ans.
C’est sur cette terre fertile, en bordure du littoral, que se cultive le délicieux oignon de Roscoff labellisé AOC en 2009 puis AOP (label européen) en 2013. La recette de ce succès ? Un climat doux (le sol ne gèle pas), le prolongement du gulf stream, les embruns et un engrais naturel et gratuit à proximité (le goémon), et le talent des agriculteurs…
Depuis l’obtention du label AOP, on ne dit plus « Oignon rosé » mais « Oignon de Roscoff ». La législation européenne est plutôt taquine en matière de norme.
Pourquoi sont-ils tressés ? Pour plusieurs raisons : cela améliore sa conservation, la queue ainsi pincée ralentit l’oxygénation du produit, fonctionnel, cela leur permettait de les disposer sur leurs vélos, esthétique, la botte s’avère être un très bel objet de décoration dans une cuisine. Le tressage est aussi un moyen d’être certain que l’oignon a été manipulé par la main de l’homme et non par une machine. A l’heure où j’écris ces quelques lignes aucune machine n’est encore capable de tresser une botte. A l’évidence les Johnnies ont largement contribué à la reconnaissance par les instances européennes de cet oignon à la texture fondante et au goût fruité, qui pour certains est un légume et, pour d’autres, un condiment. Le label AOP est une trace concrète de cette histoire. Cette reconnaissance institutionnelle traduit l’influence de cette histoire dans la culture et le patrimoine local.
Pour m’accompagner à la création de ce spectacle, j’ai choisi de faire appel à Muriel Benazeraf pour la mise en scène. Nous nous sommes rencontrés en 2013 lors d’un stage de comédie musicale proposée par la compagnie des 26000 couverts à Hostellerie de Pontempeyrat en août 2013. Depuis une amitié est née et avec elle le désir de collaborer.
Au cours de cette première résidence, nous nous sommes plongés dans les sources écrites ou filmées, nous avons rencontrés des membres de ma famille (mon oncle François Seité, toujours Johnnie) ou d’autres anciens Johnnies, représentatif de cette page d’histoire sociale que le temps a peu à peu effacé, mais qui se situe de façon passionnante à la croisée du politique et de l’intime. Nous avons également suivi une visite guidée animé par Natacha Adlerfliegel et proposée par de la maison des Johnnies de Roscoff pour approfondir nos connaissances.
Pour raconter cette histoire au public, nous avons choisi un dispositif porté par 3 comédiens-conteurs. Les spectateurs seront invités à venir s’asseoir au cœur de l’espace scénique, sur des tabourets (250) autours et parmi lesquels viendront jouer les comédiens, dans le but d’immerger un peu plus le spectateur dans notre épopée. Aussi nous proposerons le matin où la veille du spectacle, une déambulation à vélo. Elle annoncera la représentation dans les différents quartiers de la ville. Une soupe à l’oignon partager entre les spectateurs et les comédiens viendra clôturer ce spectacle…
Autres particularité de cette création, elle se jouera en deux versions : Française et Anglaise avec à chaque fois des passages en langue bretonne.
Nous pensons que cette aventure poussant des êtres à traverser la mer pour aller à la rencontre d’autochtones dont ils ne parlaient pas la langue, en tirer des expériences fructueuses et nouer des amitiés transcendant les difficultés de départ, peut représenter une source d’espoir, à rebours des discours de méfiance et de xénophobie qui prévalent trop souvent aujourd’hui.
Elle nous permet aussi de nous rafraîchir la mémoire sur une époque où les émigrés économiques étaient alors des Français…
Il s’agit pour nous de susciter une réflexion, loin d’une démarche passéiste ou « folklorique bretonnisante » :
Partir de la nécessité d’une expérience intime pour raconter une histoire universelle qui parle du courage de se jeter dans l’inconnu à la rencontre de l’Autre.
Evoquer la « petite histoire » pour mieux comprendre la Grande…
En fait, ce spectacle se voudrait construit à l’image de l’oignon, de peaux successives se détachant les unes des autres jusqu’au cœur sensible et succulent…